(Le Nouveau Gabon) - Le chercheur français Didier Raoult a séjourné au Gabon du 27 aout au 4 septembre 2021 à l’invitation du Centre interdisciplinaire de recherches médicales de Franceville (Cirmf). Au cours de cette visite, le Cirmf et l’Institut hospitalo-universitaire (IHU) de Marseille (France), que dirige le Pr Raoult, ont signé un partenariat. Dans cet entretien, le directeur général Cirmf nous en dit plus. Il parle aussi des difficultés dont fait face la recherche au Gabon.
Le Nouveau Gabon : À l’invitation du Cirmf, le professeur Didier Raoult a séjourné, il y a quelque temps, au Gabon. Pourquoi cette invitation ?
Jean Bernard Lekana Douki : La visite du Pr Didier Raoult ou plutôt de la délégation de l’Institut hospitalo-universitaire (IHU) au Centre interdisciplinaire de recherches médicales de Franceville (Cirmf) était motivée par le partenariat que nous avons initié il y a plus de 10 ans avec l’IHU. Depuis plus de 10 ans, nous travaillons ensemble, nous avons des projets communs, nous formons ensemble des étudiants de niveau master et doctorat. Cette visite a permis de faire un véritable brainstorming sur le partenariat qui lie l’IHU au CIRMF.
LNG : Combien de jeunes ont été formés dans le cadre du partenariat avec l’IHU en plus de 10 ans ?
JBLD : Avec l’IHU de Marseille, nous avons déjà formé trois thèses de doctorat en sciences. L’un est recruté à l’université des sciences et de la Santé de Libreville, et les deux autres au Cirmf. Nous avons également plusieurs masters qui ont été formés. On a aussi des mobilités de nos doctorants à Marseille. C’est-à-dire des étudiants qui font des thèses au Cirmf et qui vont pour un ou deux mois à l’IHU dans le cadre de leurs recherches.
LNG : Au cours de son séjour au Gabon, un nouveau partenariat a été signé avec l’IHU de Marseille. Quel est l’intérêt de ce nouvel accord pour la recherche au Cirmf et au Gabon ?
JBLD : L’accord-cadre que nous avons signé permet d’intensifier ce que nous avons déjà comme partenariat, c’est-à-dire densifier la mobilité entre l’IHU de Marseille et le Cirmf. Grâce à ce partenariat, nous allons continuer à développer des projets ensemble. Et pour cela, il faut aller mobiliser des fonds et derrière, il y a cette mise en commun des ressources dans le but de créer une technopole qui est un pôle de haute technologie pour le diagnostic et la caractérisation des microbes.
LNG : Pouvez-vous nous en dire plus sur cette technopole et sa mise en place ?
JBLD : Les délais ne sont pas fixés parce que pour arriver à monter cette technopole, il sera nécessaire de mobiliser des fonds. Donc, la première étape c’est la rédaction des projets. Nous avons identifié ces projets, ensuite aller vers les bailleurs de fonds, et c’est à partir du moment où on aura l’accord des bailleurs de fonds qu’on va se projeter dans un chronogramme. On se donne deux ans pour atteindre cet objectif.
LNG : Qu’est-ce qui est fait par le Cirmf pour lutter contre la Covid 19
JBLD : Sur la Covid 19, nous avons été parmi les premiers à alerter Africa CDC (Centre pour le contrôle et la prévention des maladies en Afrique, NDLR) du danger qui allait arriver de Wuhan dès janvier 2020. Nous sommes à la pointe du diagnostic, c’est nous qui avons formé les premiers agents et installé les premiers laboratoires de diagnostic Covid à Libreville. Le Cirmf est d’ailleurs sorti du Gabon pour aller former et installer des laboratoires en Guinée équatoriale.
Nous avons été parmi les premiers à dire que ce coronavirus allait connaitre des mutations. Nous avons été parmi les premiers à faire du séquençage et à déposer ces séquences sur les banques de données internationales. Et avec le séquençage, nous avons mis en évidence l’introduction des variants dans le pays. Aujourd’hui, nous faisons de la surveillance de ces variants.
LNG : Le Cirmf ne mène-t-il pas des recherches dans le sens de trouver un traitement, un vaccin contre la Covid ?
JBLD : Aujourd’hui, les essais cliniques ne rentrent pas dans les champs d’action du Cirmf. Le Cirmf est focalisé sur le diagnostic, la caractérisation des pathogènes et la veille. Peut-être que dans le développement que le Cirmf va connaitre, on fera des essais cliniques et proposer des traitements. Mais, pour cela, il faut des équipements bien spécifiques que le Cirmf n’a pas aujourd’hui.
LNG : Quels sont les grands chantiers du Cirmf en termes de recherche scientifique ?
JBLD : Les grands chantiers du Cirmf aujourd’hui, c’est déjà d’augmenter sa capacité de production, en augmentant le nombre de chercheurs. Augmenter sa capacité de recherches en mobilisant davantage des fonds. Car, l’un des principaux challenges de la recherche au Gabon reste la mobilisation des financements. L’État gabonais fait déjà énormément, mais, il faudra encore faire plus. Les chercheurs du Cirmf sont encouragés chaque jour à aller chercher des fonds. L’objectif du Cirmf c’est d’être leader dans le diagnostic et la caractérisation des pathogènes. Nous le sommes déjà. Mais, nous devons nous y maintenir. Et rester au sommet passe aussi par une augmentation de ses outils, aller chercher des machines beaucoup plus performantes.
LNG : Quelles solutions pour le financement de la recherche ?
JBLD : La recherche coute très cher. Parce que la recherche demande de l’équipement. Nous dans le domaine de la biologie et particulièrement de des maladies infectieuses, il faut pouvoir acheter des appareils qui pour certains sont hors de prix. Là, avec la délégation de l’IHU qui était au Gabon, nous avons réfléchi sur deux appareils. L’un des deux qui se chiffre à plus de 300 millions de FCFA, et l’autre à 180 millions de FCFA. Donc, il faut des fonds pour ça. Derrière, les réactifs ont un cout énorme. Vous avez 50 microlites qui peuvent couter 4 à 5 millions de FCFA. Donc, il faut pouvoir financer tout ça. Le gouvernement fait déjà beaucoup, dans la mesure où il prend en charge les salaires au CIRMF et paye une partie des réactifs. On bénéficie certes de la subvention de l’Etat. Mais, ce n’est pas suffisant. Si on veut être compétitif, il faut pouvoir atteindre rien que pour l’appareillage, des montants de 700 millions de FCFA à un milliard de FCFA en investissements. Et sur les réactifs également, il faut atteindre à peu près la moitié de ces montants. En plus de la subvention de l’Etat, nous devons donc aller chercher des fonds ailleurs. Et c’est l’un des points que nous avons abordé avec la délégation de l’IHU.
LNG : Quelles stratégies êtes-vous en train de mettre en place pour trouver plus de financements ?
JBLD : La première stratégie c’est d’abord nous-mêmes. Être capables de monter des projets qui soient gagnants. Et là, nous avons commencé à travailler avec des organismes d’assistance de montage de projets, pour pouvoir avoir des projets qui soient parfaitement ficelés pour mobiliser des fonds. Deuxièmement, nous sommes appuyés par plusieurs organismes. Notamment, l’Union africaine à travers Africa CDC, l’OMS (Organisation mondiale de la Santé, NDLR). Mais, tout ça reste insuffisant. Donc, nous avons des partenariats de part et d’autre qui nous permettent d’engranger certains fonds. Mais il nous faut mobiliser davantage de fonds.
Propos recueillis par SG
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