(Le Nouveau Gabon) - La pandémie de la Covid-19 a frappé de plein fouet le secteur économique gabonais comme partout ailleurs. Et le tourisme n’a pas été épargné. Selon la direction générale de l’économie et de la politique fiscale (DGEPF), ce secteur demeure le plus impacté par cette crise sanitaire à fin septembre 2020. Dans cet entretien accordé à la rédaction du Nouveau Gabon, la présidente du Club de tourisme de Libreville (CTL), Jocelyne Halajko, revient sur les difficultés rencontrées par ses membres malgré la reprise des activités. Elle fonde beaucoup d’espoirs sur l’aide financière annoncée par le gouvernement en faveur du tourisme gabonais.
La Nouveau Gabon : Comment le secteur touristique gabonais vit-il la crise sanitaire qui sévit actuellement ?
Jocelyne Halajko : Tout d’abord, il faut savoir que le tourisme au Gabon c’est à 95% un tourisme d’affaires. Depuis le 1er juillet 2020 les hôtels ont pu rouvrir leurs portes mais les visas ne sont toujours pas accordés aux touristes d’affaires ou de loisirs. Quel est le Gabonais qui va aller dormir dans un hôtel ? Bien qu’ouvert, les hôtels sont donc encore vides mais nous devons quand même payer nos charges salariales, d’électricité et nos loyers. Avec quelle recette ?
Depuis le 1er novembre 2020 les restaurants qui ont des salles en intérieur ont pu rouvrir leurs portes mais compte tenu de la crise économique, le Gabonais a d’autres préoccupations que d’aller manger au restaurant !
Quant aux établissements de nuit fermés depuis mars 2020, ils sont sans ressources et sans aide. Nous avons l’impression que maintenant que ces autorisations d’ouverture ont été accordées, le gouvernement occulte les mois de fermeture complète. Et c’est très dur pour nous de survivre.
« Chacun a fait de son mieux pour conserver son outil de travail en injectant des fonds propres et/ou en s’endettant pour réussir à subsister mais, comme vous le savez, les crédits sont chers et nous n’avons comme tout le monde aucune visibilité sur un retour à la normale. »
Chacun a fait de son mieux pour conserver son outil de travail en injectant des fonds propres et/ou en s’endettant pour réussir à subsister mais, comme vous le savez, les crédits sont chers et nous n’avons comme tout le monde aucune visibilité sur un retour à la normale. Comment s’engager dans un remboursement honorable ? Nous avons beaucoup de mal à envisager un avenir de manière sereine dans un secteur déjà bien codifié.
Vous comprendrez donc que tant que les touristes d’affaires ne pourront pas revenir au Gabon, c’est tout un pan de cette économie qui restera paralysé.
LNG : Comment relancer le tourisme d’affaires et de conférence dans un tel contexte ?
JH : Dans le monde entier, le tourisme d’affaires et de conférence est terriblement impacté. Le Gabon n’échappe pas à cette fatalité et ne pourra en sortir qu’en permettant les déplacements internationaux. Ceci n’est pas de notre ressort mais des accords de réciprocité entre pays.
LNG : A combien sont chiffrées les pertes pour les entreprises, pour l’emploi?
D’après une étude auprès des membres du Club de tourisme de Libreville (CTL), nous estimons à 4000 le nombre d’employés impactés dans notre secteur. Non renouvellement de CDD (contrats à durée déterminée), chômage technique ou partiel… Ces chiffres ne sont que des estimations. Malheureusement, nous pensons que dans un avenir très proche les chiffres de chômage risquent d’être plus élevés.
« Le Royal Palm, l’Adresse, Le Lokua, Le Cactus et bien d’autres… Autant d’établissements fermés aujourd’hui. Rouvriront-ils ? »
Le Royal Palm, l’Adresse, Le Lokua, Le Cactus et bien d’autres… Autant d’établissements fermés aujourd’hui. Rouvriront-ils ?
Nous estimons aujourd’hui qu’en moyenne, les opérateurs du secteur du tourisme sont en baisse de 80% de leur chiffre d’affaires.
LNG : Le gouvernement a promis un accompagnement financier aux acteurs du secteur. Qu’en est-il aujourd’hui ?
JH : Notre secteur n’a bénéficié d’aucun accompagnement financier de l’Etat. Aujourd’hui, le gouvernement est conscient que le tourisme est un des piliers de la relance économique post pétrole. Il cherche donc de nouveaux investisseurs étrangers pour financer des projets touristiques au Gabon. Notre ministre de tutelle, M. Pascal Houangni Ambouroue a reçu récemment les ambassadeurs du Royaume d’Arabie Saoudite et du Liban dans ce sens.
Comment peut-on envisager de faire venir au Gabon de nouveaux investisseurs sans préalablement aider à maintenir ceux qui ont déjà investi depuis de nombreuses années dans ce secteur ? Ceux qui ont cru en ce tourisme, ceux qui l’ont accompagné lors des Rencontres nationales du tourisme en juillet 2019, ceux qui l’ont aidé dans la mise en place de la Stratégie nationale du tourisme au Gabon ?
« Les banques voudraient bien nous prêter mais comme nous, elles n’ont aucune visibilité. Ce dont nous aurions besoin c’est d’un réel accompagnement financier. En don et non en prêt. »
Nous sommes les oubliés du système aujourd’hui alors que nous sommes les meilleurs porte-paroles et les fondations de ce tourisme de demain. Les banques voudraient bien nous prêter mais comme nous, elles n’ont aucune visibilité. Ce dont nous aurions besoin c’est d’un réel accompagnement financier. En don et non en prêt.
LNG : Le groupe de travail sur la relance de l’économie post pandémie commis par le gouvernement table sur un plan de relance du secteur, évalué à 8,15 milliards de FCFA. De votre point de vue, est-ce réaliste ?
JH : Pour sauver le tourisme d’aujourd’hui, il faut accompagner les opérateurs existants actuellement avant d’en faire venir de nouveaux. Pour cela, le CTL a estimé à 10 milliards de Fcfa le besoin du secteur. Et entre mars et octobre 2020, les dettes des membres du CTL (une cinquantaine) sont estimées à 4,2 milliards de Fcfa. Ces dettes ont été contractées pour le fonctionnement des structures.
Nous n’avons absolument aucune idée de ce qui est prévu de faire avec cette enveloppe de 8,15 milliards de Fcfa. Nous réfléchissons tous les jours à comment développer ce secteur qui à notre sens n’est qu’au stade embryonnaire.
Des mesures pédagogiques de longue haleine doivent être mises en place pour que tout le peuple gabonais soit conscient du bien-fondé de la démarche et des retombées possible sur les collectivités locales sur l’ensemble du territoire.
Nous pensons par exemple qu’introduire un volet tourisme dans le programme d’éducation civique dès les premières années de scolarisation des enfants serait un bon moyen de préparer les générations futures à la connaissance du potentiel touristique de leur pays, à l’accueil de l’étranger comme une manne.
Les Gabonais ne connaissent que la province d’où ils sont originaires. Lorsqu’ils ont un peu de temps et de moyens c’est pour retourner dans leur village, mais pas pour découvrir leur pays et c’est dommage.
LNG : Qu’envisagez-vous pour développer le tourisme intra-africain ?
JH : Nous avons à notre disposition aujourd’hui des moyens de communication qui nous permettent en quelques clics sur nos ordinateurs d’interpeller le monde entier. Parmi les objectifs de la relance du tourisme intra-africain, il serait bon d’envisager un budget pour aider les opérateurs du tourisme dans cette communication et proposer ainsi à nos voisins de venir nous rendre visite.
Baisser le cout des vols (des taxes aéroportuaires) et assouplir les conditions d’entrée dans nos différents pays. Nous, opérateurs nous sommes prêts à réduire nos prix pour favoriser cette incitation.
La superficie de l’Afrique est de 30,35 millions de km2. Elle est plus grande que l’Union européenne, la Chine et les Etats-Unis d’Amérique réunis. Nous sommes conscients que ce réservoir est un immense potentiel. C’est pourquoi le CTL fait partie aujourd’hui d’un forum de réflexions qui s’appelle : Réseau africain des professionnels du tourisme. L’objectif de ce groupe est de fédérer les actions pour promouvoir des échanges d’expériences. C’est un bon signe pour l’avenir.
Nous espérons que l’ouverture de la Zone de Libre-échange de continentale africaine (ZLECAf), le 1er janvier 2021, nous offrira des opportunités dans ce sens.
LNG : Le Cameroun, récemment, a décidé de promouvoir le marché du birding (les amateurs d'oiseaux). Le Gabon envisage-t-il également de développer ce type de tourisme spécialisé qui est en forte progression dans le monde?
JH : La pandémie de la Covid-19 a eu cela de bon qu’elle nous a obligé à faire preuve d’innovation pour tenter de se démarquer. Le birding comme vous dites est une des possibilités. Bravo au Cameroun de tenter de développer ce marché. Nous pouvons en faire autant voire plus.
« La pandémie de la Covid-19 a eu cela de bon qu’elle nous a obligé à faire preuve d’innovation pour tenter de se démarquer. Le birding comme vous dites est une des possibilités. Bravo au Cameroun de tenter de développer ce marché. Nous pouvons en faire autant voire plus. »
Le parc national d’Akanda est une aire naturelle protégée situé au nord-est de Libreville au Gabon. Il a été créé en 2002. Bordé par les baies de la Mondah et de Corisco, ce parc présente un paysage de mangrove, riche en espèces aquatiques, en amphibiens et en oiseaux. C’est le site le plus important du Gabon pour les oiseaux migrateurs. Des tortues marines fréquentent aussi les eaux du parc. Sans oublier le tourisme de pêche.
LNG : Quels sont à votre avis les principaux atouts du tourisme gabonais comparé à d’autres pays ?
JH : Lorsque l’on va enfin sortir de cette pandémie, il faudrait être prêts à recevoir les voyageurs qui vont avoir envie de grands espaces sauvages. Après tous ces mois de confinement en Europe et ailleurs, le Gabon sera une destination recherchée par les touristes qui veulent découvrir la nature.
« Lorsque l’on va enfin sortir de cette pandémie, il faudrait être prêts à recevoir les voyageurs »
La Gabon se distingue par ses 880 Km de côtes et possède une faune et une flore particulièrement riche et attrayante avec des espèces que l’on ne trouve nulle part ailleurs. Le Kob par exemple dans le parc de Moukalaba Doudou (province de la Nyanga).
On peut voir au Gabon des éléphants et des hippopotames se baigner dans la mer, des tortues Luth pondent sur nos plages, des baleines venir mettre bas au large de nos côtes.
Autant d’atouts spécifiques à notre beau pays qui peuvent intéresser de nombreux touristes en recherche d’évasion.
Propos recueillis par Sandrine Gaingne et Brice Gotoa