(Le Nouveau Gabon) - Au Gabon, malgré l’homologation des prix de plus d’une centaine de produits arrêtés depuis 2015, les prix ne cessent de flamber à Libreville et à l’intérieur du pays. Ce, au grand dam des populations qui assistent impuissantes à cette inflation depuis 2020. Cette hausse généralisée affecte tant les produits importés que ceux produits localement. Quelles sont les raisons de cette hausse ? Quelles sont les mesures prises pour limiter son impact sur le panier de la ménagère ? Le Nouveau Gabon tente d’apporter quelques réponses à ces questions.
(Le Nouveau Gabon) - Depuis plus d’un an au Gabon, les prix des produits sont en hausse continue. Farine, huiles de cuisine, poisson, viande, lait, fournitures scolaires, transport, matériaux de construction, … ont vu leurs prix grimper. A titre d’exemple, le kilogramme de rognon qui coûtait 900 FCFA au mois de novembre est passé aujourd’hui à 1 450FCFA, soit une augmentation de 550 FCFA. Le bidon de 5 litres d’huile ‘’Cuisin’Or’’, produit localement par l’entreprise Olam est passé de 4500 FCFA à 6500 voire 7000 FCFA chez le boutiquier ou le Libanais du quartier. Et en ce moment à Port-Gentil, le litre de cette huile de cuisine serait vendu à 2 000 FCFA dans certains quartiers.
A fin juin 2021, d’après la note de conjoncture sectorielle de la direction générale de l’Economie et de la politique fiscale, l’inflation mesurée par l’Indice Harmonisé des Prix à la Consommation des ménages dans l’ensemble du pays, affiche un taux de 1,3% en moyenne annuelle contre 0,9% sur la même période en 2020. Avec notamment, la persistance de l’inflation dans les transports (+5,3%), le relèvement des prix dans les restaurants (+0,6%), les prix des biens et services divers ont augmenté de 1,1% contre une baisse de 0,4% en 2020 sur la même période.
Cette hausse fait grincer les dents au sein de la population qui assiste impuissamment à cette inflation. « Depuis la survenue de la Covid-19, tous les produits ont augmenté, on ne comprend plus rien. Avant, avec 50 000FCFA, j’achetais à manger chez moi pour deux semaines. Aujourd’hui, je dois dépenser plus de 100 000 FCFA pour la même période pour nourrir ma petite famille. Pourtant à côté, les salaires n’ont pas augmenté. Pour nous qui avons des enfants, c’est vraiment difficile », se plaint Marie Boutoto, une enseignante qui gagne 200 000 FCFA par mois.
Une préoccupation partagée par le président de l’Organisation gabonaise des consommateurs, Ibrahim Tsiendjiet Mboulou, qui affirme avoir plusieurs fois tiré la sonnette d’alarme sur cette situation. « Cette inflation est galopante depuis 2020. L’Etat a pris des mesures très importantes pour soutenir le pouvoir d’achat du consommateur. Mais, la direction générale de la concurrence et de la consommation ne fait pas vraiment son travail de contrôle des prix. Nous attirons une fois de plus l’attention des pouvoirs publics sur cette augmentation des prix », a indiqué Ibrahim Tsiendjiet Mboulou
Grossistes et producteurs sur le banc des accusés
Les doigts accusateurs sont pointés vers les importateurs, grossistes et producteurs, qui, d’après certains commerçants, font de la spéculation sur les prix. « Les prix augmentent au quotidien chez le grossiste. Quand on lui demande la raison de cette hausse, il accuse la douane. Nous souffrons avec les clients », a expliqué Abdoulaye, commerçant au petit marché situé derrière la prison dans le premier arrondissement de Libreville.
Pour la direction générale du commerce chargée du contrôle du circuit de distribution et la gestion de stock, les prix sont encadrés au Gabon, mais, les grossistes sont aussi des victimes comme les consommateurs. Car, ils subissent l’envolée des prix à l’international. « La crise sanitaire est une des causes. Les producteurs préfèrent vendre à leur propre population parce que l’importation est chère », a souligné Jean François Yanda, directeur général du Commerce.
Selon les opérateurs économiques, les causes de cette inflation galopante sont beaucoup plus exogènes. Elle est causée notamment par la forte hausse des matières premières au niveau international, ainsi que par l’explosion du taux du fret maritime selon Bertrand Courties, 1er vice-président de la Confédération patronale gabonaise (CPG). « Il y a environ 10 000 dollars de plus par conteneur » lors du transport des marchandises provenant de l’Asie, affirme-t-il. Ainsi, le coût du transport maritime venant d’Asie a explosé de 138% passant de 5 000 USD en juillet 2020 à 13 000 USD en juillet 2021 pour un conteneur de marchandises.
Aussi mis en cause, l’augmentation « historique » du paiement des droits de douane. Les entreprises se retrouvant obligées de faire des décaissements considérables pour faire face à la hausse des prix, du transport et de la douane, apprend-on.
Par ailleurs, selon le 1er vice-président de la principale organisation patronale du Gabon, la parité euro-dollars qui a augmenté d’environ 5% pourrait contribuer à entretenir cette hausse. Tous ces facteurs ont entrainé un effet domino. Tous les secteurs étant obligés de suivre la courbe de l’inflation.
Ce constat est partagé par le gouvernement. Cependant, d’après un observateur de la scène économique, la hausse des coûts du transport maritime évoquée par les opérateurs économiques pour justifier la hausse généralisée des prix sur le marché ne sont que des prétextes. Car, d’après lui, les entreprises s’appuient sur le contexte actuel pour faire des spéculations au motif qu’elles paient plus cher le transport. Pourtant, « lorsque les prix du fret maritime étaient au plus bas, elles n'ont jamais répercuté cela sur les prix finaux aux consommateurs. Au contraire, elles ont maintenu leurs marges », affirme cet observateur.
Dans ce sens, le président Ali Bongo avait reconnu en 2011 s’agissant de la hausse « abusive » des prix des produits sur le marché, qu’il y a très souvent une surenchère sur de nombreux produits. Car, « les marges entre le producteur, le transitaire, le transporteur et le distributeur sont tout simplement exagérées et participent de pratiques spéculatives que je dénonce ». Une remarque qui reste d’actualité.
Productions locales
D’après la Concertation nationale des organisations paysannes et productrices du Gabon (CNOP-Gabon), l’augmentation observée ces derniers mois sur les prix des denrées produits localement, est due à plusieurs facteurs dont le réseau routier, les tracasseries policières et la Covid-19. « La situation misérable du réseau routier fait en sorte que le transport de marchandises coûte cher. Je suis de Minvoul où je produis ma banane qui coûte 1 000F. Je pars de Minvoul pour vendre ma banane à Libreville, j’ai plus de 700 Km à parcourir. Il y a plus 15 postes de contrôles et à chaque poste il faut débourser quelque chose, le minimum c’est 1 000F. Certains sont obligés de sacrifier des régimes de bananes parce qu’ils n’ont pas d’argent » confié Phil Philo Abessolo Ndong, président de la CNOP-Gabon.
Il poursuit : « La Covid-19 est aussi à l’origine de ce que nous sommes en train de vivre. Pour te déplacer il faut faire le test PCR, avoir l’autorisation de sortie. Avec tout cela, une fois arrivé à Libreville la même banane va être à 3 000 ou 3 500FCFA à cause de toutes les difficultés rencontrées ».
Selon Jones Michael Ondo, directeur général de Kama Food, une entreprise spécialisée dans la production, la transformation et la vente des produits alimentaires, les prix à l’achat des produits servant à la production des aliments ont également augmenté. Il s’agit notamment des prix des engrais, la semence, qui ajoutés au prix du transport qui a également augmenté, contribuent à faire croître les coûts de production.
La solution pour atténuer…
Si le gouvernement reconnaît être au courant de la hausse des prix généralisée dans les marchés, il n’a pas encore donné les mesures qu’il compte prendre pour amortir le choc chez les consommateurs. Contactée, la Direction générale de la concurrence et de la consommation (DGCC), voie officielle en la matière, n’a pas souhaité apporter des éclairages sur ce qui est fait pour stopper cette hausse, malgré les multiples sollicitations de notre rédaction. Elle promet de s’expliquer devant les médias dans les prochains jours, accompagnée du ministre chargé du Commerce.
Toutefois, selon Phil Philo Abassolo Ndong, pour trouver une solution au phénomène de l’augmentation des prix, il faut développer les chaînes de valeurs et mettre sur pied une mercuriale nationale adaptée au contexte actuel. « L’Etat doit établir les prix en fonction de la distance au départ des produits pour Libreville ou de Libreville, qui sera le point A et l’arrivée dans chaque province. Ce qui s’applique à Minvoul ne va pas s’appliquer pour Malinga. L’Etat doit jouer son rôle à travers la direction générale de l’Economie, la direction générale de la concurrence, la direction générale du Commerce et de la Statistique », indique-t-il.
Il faudrait également que dans le contexte actuel, le Gabon produise plus et transforme sur place. Car, pour l’instant, le pays importe plus de 80% de ce qu’il consomme selon des statistiques officielles. Pour baisser cette tendance, des efforts sont déjà faits sur le plan agricole pour accroître la production des denrées alimentaires.
Mais, il faut dire que ça fait plus d’une décennie que les autorités gabonaises multiplient les mesures destinées à ménager le pouvoir d’achat des populations, sans vraiment y parvenir. Le pays est encore aujourd’hui, considéré comme l’une des plus chères en Afrique.
Brice Gotoa, Sandrine Gaingne