(Le Nouveau Gabon) - Le conseiller en politiques des TIC à la représentation gabonaise de la Banque mondiale évalue les défis et les avancées du Gabon en matière des TIC et Télécommunications.
Comment évaluez-vous au niveau de la Banque mondiale les politiques de développement des TIC au Gabon ?
Le Gabon est un exemple très intéressant d’une politique de développement de l’Internet et de l’économie numérique qui prend bien en compte tous les éléments nécessaires pour que cela soit un succès. Ce qu’on peut dire de l’approche gabonaise, c’est qu’elle est d’abord orientée sur la mise en place des infrastructures nécessaires pour que l’économie numérique se développe. C’est-à-dire avoir des réseaux à hauts débits, un bon accès à Internet et l’accès à la 4G. Quand on regarde aujourd’hui le Gabon, on a un marché concurrentiel avec du très haut débit à la disposition des citoyens. Il y a déjà 30% de pénétration des smartphones dans ce pays ce qui est considérable. Une fois que ces réseaux sont en places, on peut commencer à parler développement d’applications, de contenus et de services locaux puisqu’on a les moyens de les mettre à disposition des clients qu’ils soient particuliers ou des entreprises. Et ça, c’est la deuxième phase. Il faut savoir comment créer les conditions de développement de contenus, d’applications et de services locaux. C’est un grand défi et l’approche utilisée par le Gabon est encore intéressante puisqu’elle combine à la fois secteur public et secteur privé dans un partenariat gagnant-gagnant.
Comment évaluez-vous les actions du secteur public ?
Du côté du secteur public, ce qu’on voit, c’est le financement de grands chantiers dans le domaine de l’e-gouvernement susceptible de toucher beaucoup de gens. Notamment dans l’e-Santé. Ici au Gabon le fait d’investir dans le e-santé a généré des besoins de développement d’applications et de contenus locaux autour de la santé. L’autre pilier de ce partenariat c’est le secteur privé. Comment faire pour que des jeunes entrepreneurs de l’économie numérique gabonaise et généralement de la sous-région saisissent les opportunités du numérique. D’où la mise en place d’un écosystème d’innovation numérique dont le cœur est un incubateur numérique. Il n’y a pas aujourd’hui un incubateur numérique performant en Afrique centrale et ce sera une grande première au Gabon.
La Banque mondiale a mis globalement 56 millions de dollars dans ce poste projet e-Gabon. Pourquoi avoir choisir précisément d’accorder des financements pour soutenir le projet e-Santé et le projet de l’incubateur numérique ?
Au cœur des priorités et des objectifs de la Banque mondiale, il y a ce double objectif de prospérité partagée et de réduction de l’extrême pauvreté. L’on se rend compte que les principaux éléments qui peuvent permettre de travailler sur la réduction de l’extrême pauvreté sont des actions dans le domaine de l’agriculture, dans le domaine de la santé ou bien dans le domaine de l’éducation. On a accueilli de manière très favorable la proposition du gouvernement d’avoir un accompagnement de la Banque mondiale dans le domaine de l’e-santé. Donc, c’est la rencontre d’un souhait du gouvernement et aussi de nos objectifs d’améliorer très concrètement la vie des populations dans les pays où nous travaillons. Ça, c’est pour la partie e-Santé. Pour la partie de l’incubateur, l’un des grands défis de l’Afrique aujourd’hui c’est de trouver des emplois pour toute cette jeunesse. Cette jeunesse qui est formée et qui est la recherche des débouchés. L’économie numérique peut permettre justement d’offrir des débouchés à des jeunes entrepreneurs, à des jeunes innovateurs qui seront intéressés à saisir les opportunités offertes par l’économie numérique. Ils pourront peut-être devenir de grands innovateurs du Gabon dans les services de l’e-santé ou autres.
Comment va fonctionner cet incubateur ? Quels sont les types de jeunes qui seront encadrés ? Faudrait-il déjà avoir un business plan déjà élaboré ?
Notre approche consiste à travailler avec l’ensemble des acteurs pour mettre en place un écosystème d’innovation numérique. Donc, l’incubateur n’est qu’une des composantes. Si vous me le permettez, l’incubateur numérique a besoin de pouvoir accueillir des gens qui ont déjà un projet bien mûr et qui sont décidés à s’engager dans une démarche de création d’entreprise. L’un des enjeux de la mise en place de l’écosystème numérique, c’est de créer tout un pool, toute une population de jeunes entrepreneurs qui présentent déjà ces caractéristiques. Nous allons nous appuyer sur des structures qui sont déjà en place, des structures des types accélérateurs comme Ogooue Labs où les jeunes mûrissent leurs idées. Ils seront en ce moment-là dans une situation où ils pourront bénéficier pleinement des services de l’incubateur. Il faudrait également mettre en place un système avec des compétitions d’applications mobiles. Il faut aussi mettre en place des « Co-working Spaces », c'est-à-dire des espaces ouverts de travail disponibles 24h/24 avec des ordinateurs disposant d’une bonne capacité Internet, afin que des groupes de jeunes puissent commencer à coder et à développer leurs prototypes. Donc, le projet intègre vraiment l’ensemble de l’écosystème numérique pour générer une population de jeunes qui seront les clients de cet incubateur.
En Afrique centrale, la Banque mondiale soutien le projet du Central African Backbone. Comment évaluez-vous à ce jour la mise en place et l’évolution de ce projet ici au Gabon et dans la sous-région ?
L’un des objectifs clé de ce projet c’était d’améliorer la connectivité sous régionale, c'est-à-dire d’apporter l’Internet haut dédit, de qualité à des coûts abordables dans tous les pays de la sous-région. Au Gabon, je pense qu’on peut être très satisfait des résultats de ce projet, puisqu’il a permis de mettre en place une nouvelle station de câble sous-marin qui a permis d’améliorer considérablement la qualité de service. A Libreville, il y a une fibre optique sous-marine qui joint Libreville à Port-Gentil. On a pratiquement 60% de la population qui a déjà accès à une très bonne connexion Internet. Le projet Central African Backbone en cours de déploiement en ce moment vise à transporter cette connectivité dans les principales villes du pays : Franceville, Oyem et l’interconnexion avec le Congo. C’est là où la dimension sous régionale est intéressante, parce qu’on va permettre à présent à ces deux pays d’avoir une connexion terrestre qui permettrait de sécuriser le trafic entre les pays et aussi peut être de développer les applications qui fonctionneront au Gabon, au Congo et peut être demain au Cameroun, puisque le gouvernement gabonais nous a demandé de financer le prolongement du réseau vers la frontière du Cameroun. Donc, on va avoir une connexion entre les pays de la sous-région. Ce qui ressemblera à celle qu’on observe en Europe qui permet aux innovations de passer les frontières.
Vous assistez le Gabon comme un conseiller dans les politiques des TIC, de la part de la Banque mondiale. Ce matin, des opérateurs mobiles se plaignaient des sanctions élevées du régulateur télécom à la suite de la mauvaise qualité des services. Quel est votre avis sur la situation et comment le gouvernement devrait-il réagir face aux opérateurs mobiles ?
Ce qu’on observe dans le monde c’est que les secteurs des TIC qui sont libéralisés et compétitifs sont ceux qui se développent le plus vite et créent le plus de richesses. Ce sont aussi des secteurs susceptibles d’apporter le plus d’innovations aux populations. Donc, du point de vue de la cible, c’est vraiment cela qu’il faut viser. Après, ces acteurs ont des engagements. Puisqu’ils ont des fréquences nationales qui sont rares. Ces ressources rares sont attribuées à travers un processus concurrentiel et c’est normal, car un certain nombre des règles du jeu sont fixés dans les cahiers de charge et parmi ces règles du jeu, il y a les paramètres de qualité de service minimum. Donc, cela fait partie des responsabilités du régulateur de s’assurer que les règles du jeu soient respectées et lorsque ce n’est pas le cas, d’agir en conséquence. Il peut y avoir des variations de qualité de service mais les cahiers de charge ont mis en place des niveaux minimas et l’attente des consommateurs et des pouvoirs publics c’est que ces minimas soient respectés.
Propos recueillis par Beaugas-Orain Djoyum