(Le Nouveau Gabon) - Le Gabonais Lin Mombo, président de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep), qui a récemment été désigné par l’UIT ambassadeur des bonnes pratiques de régulation dans le monde, présente les enjeux de la régulation des télécoms au Gabon, donne son avis sur les problématiques de l’heure comme la concurrence faite par Viber, Skype ou encore WhatsApp aux opérateurs mobiles et présente ses nouvelles missions d’ambassadeur de bonnes pratiques de régulation.
Le Nouveau Gabon : Le marché de la data fait partie des nouveaux services qui intéressent les opérateurs mobiles et occupent une place importante dans le monde tout comme au Gabon. Comment entendez-vous réguler au niveau du Gabon la concurrence que font les acteurs de l’économie numérique comme Skype, Facebook ou encore Viber aux opérateurs télécoms en grignotant leurs parts de marché avec les appels sur IP ?
Lin Mombo : Je vous remercie pour cette question pertinente qui fait l’objet des discussions au sein de l’UIT en ce moment. Je peux vous dire que récemment lors de la conférence des plénipotentiaires à Dubaï, cette question a été au centre des discussions entre les opérateurs et Viber, Google, Skype et les autres. Cette question a à nouveau été posée lors d’un panel au Gabon lors du Colloque mondial des régulateurs télécoms (GSR 2015) qui s’est tenu du 09 au 11 juin 2015 à Libreville. Vous avez des attitudes de certains pays qui font bloquer les appels voix sur IP de Skype et Viber. Au motif bien sûr que nous donnons les licences aux opérateurs pour transporter la voix. Ces licences sont payantes. Ils ne comprennent pas pourquoi ces opérateurs annexes passent les appels par la voix gratuitement. Quelle est l’attitude du Gabon en la matière ? Au regard des instructions du chef de l’Etat, je continue à faire en sorte que les discussions se poursuivent avec ces personnes-là pour voir la solution appropriée. Le président de la République Son Excellence Ali Bongo Ondimba n’est pas pour le blocage des appels Viber, Skype ou WhatsApp. Il appartient aux opérateurs de trouver un arrangement, un terrain d’entente avec Skype, Viber, WhatsApp et les autres. Ceci afin que tout le monde puisse bénéficier de l’acheminement et de la portabilité de la voix dans le monde entier.
LNG : A l’international, certains opérateurs mobiles demandent à ces géants de l’économie numérique qui se lancent dans les appels voix sur IP de leur verser des taxes de transmission parce que, disent-ils, Skype, Viber, WhatsApp et les autres utilisent plus ou moins leurs infrastructures. Comment les opérateurs mobiles peuvent-ils parvenir à faire en sorte que ces acteurs du numérique payent aux opérateurs cette taxe de transmission ?
LM : La question est extrêmement complexe. Et elle mérite beaucoup d’études approfondies avant de trouver une solution. Au stade d’aujourd’hui, je ne peux pas me permettre de tenter de trouver une orientation quelconque.
LNG : Lors du Colloque mondial des régulateurs de télécommunications (GSR 2015) qui s’est tenu du 09 au 11 juin 2015, l’ensemble des régulateurs du monde et l’UIT vous a désigné comme l’ambassadeur qui divulguera les bonnes pratiques de régulation dans le monde. Quelles sont les missions que confère ce titre ?
LM : Au cours de mon mandat qui va de l’année 2015 à l’année 2016, il s’agira, comme l’indiquent les lignes directrices qui sont le résultat des consultations lancées par le Bureau de développement des télécommunications de l’UIT, de mener des actions sur quatre thématiques. La première, stimuler la demande. Ce qui passe par une invitation des gouvernements à mettre en œuvre des initiatives visant à connecter des administrations et des institutions publiques telles que les établissements scolaires, les bibliothèques et les hôpitaux qui peuvent ouvrir d'importants débouchés commerciaux et stimuler l'offre aussi bien que la demande de services et d'applications sur mobile. La deuxième thématique consiste à œuvrer pour faciliter dans les Etats la mise à disposition et l'utilisation d'applications et de services sur mobile ainsi que l'accès à ces applications et services. La troisième sera de divulguer les bonnes pratiques pour la protection des utilisateurs et les fournisseurs et enfin la quatrième thématique est axée sur le rôle des parties prenantes du secteur des TIC. En effet, les régulateurs et les décideurs doivent collaborer avec les organismes publics, le secteur privé et les structures non gouvernementales, afin d'intégrer les TIC, ainsi que les services et applications sur mobile en particulier, dans leurs stratégies socio-économiques nationales.
LNG : Quand vous invitez les régulateurs à une réglementation plus souple, qu’est-ce que cela implique concrètement ?
LM : Cela signifie simplement qu’il faut comprendre qu’aujourd’hui les investisseurs vont dans les pays émergents pour développer les TIC. Il faudrait donc mettre en place une réglementation souple et adaptée qui protège ces investisseurs. Et comme vous le savez, les coûts des infrastructures des télécommunications sont très élevés. Vous comprenez donc que celui qui vient avec des millions de dollars investir dans votre pays souhaite que le retour sur investissement se fasse dans une sécurité politique et dans une sécurité économique liée à la règlementation. Pour ce qui est du Gabon, nous venons de bénéficier d’un fonds de la Banque mondiale pour revoir toute la réglementation en matière de TIC. Les études ont commencé et un cabinet a été choisi à cet effet après un appel d’offres.
LNG : Le directeur général d’Airtel Afrique a déclaré pendant le GSR que certains régulateurs ne sanctionnent pas toujours tous les opérateurs défaillants. Sanctionnant certains et d’autres pas. Ce qui est, d’après lui, un frein au développement du secteur. Est-ce le cas au Gabon en matière de sanction des opérateurs ?
LM : Non. Nous ne percevons pas les choses de cette manière. Dans le cadre du plan stratégique Gabon émergent cher au président de la République, Son Excellence, Ali Bongo Ondimba, et précisément dans le volet Pilier des services, il est clairement indiqué que le secteur des TIC et télécommunications devrait booster au maximum l’économie nationale en termes de croissance. L’Union nationale des télécommunications (UIT) a indiqué à tous les régulateurs une proportion en termes de ratio que 11% d’accroissement du chiffre d’affaires du secteur des télécommunications enrichit le PIB de près de 1,5 à 2%. Donc, c’est une richesse en termes de valeur ajoutée. Pour rester dans les critères de performance, il va donc de soi de faire en sorte que les opérateurs améliorent leur chiffre d’affaires. En ce qui concerne le régulateur du Gabon, lorsque nous sanctionnons les opérateurs, parce qu’ils n’ont pas rempli leur cahier de charges, il arrive, et il nous est arrivé que nous ne percevons pas le cash de ces sanctions. Nous signons une convention en disant cet argent devait servir à développer leurs infrastructures. Et nous suivons avec l’opérateur le développement de ces infrastructures dans les zones où le signal n’est pas continu. Je dirais que nous travaillons avec des arrangements.
LNG : Vous-êtes donc davantage pour une co-régulation avec les opérateurs…
LM : Absolument, c’est le terme approprié. Nous faisons de la co-régulation.
LNG : Comment entendez-vous mener vos missions d’ambassadeur des bonnes pratiques de régulation dans le monde ?
LM : Il faudrait rappeler que lorsqu’un forum aussi important que le GSR se tient, il est organisé conjointement avec le gouvernement du pays hôte. Le Gabon a conjointement organisé ce colloque avec l’UIT dans le cadre d’un protocole d’accord qui a été signé. La conséquence c’est que nous sommes appelés à appliquer et à faire appliquer les directives de l’UIT. Donc, je ne travaille pas forcément ex-nihilo. Il y a un cadre élaboré à travers les lignes directrices que j’ai énumérées. Donc, tout ce que je fais (et tout ce que je ferai) est orienté par l’UIT. Et l’une des lignes directrices importantes que les pays émergents appliquent aujourd’hui, c’est d’avoir une autorité de régulation indépendante, autonome et hors influence politique. Ce qui nous permet de travailler dans le cadre purement réglementaire sans intervention du politique.
LNG : Et c’est le cas au Gabon ?
LM : Absolument ! C’est le cas au Gabon. Et en plus de cette directive, il y a une loi. La loi numéro 20 qui précise que le président du conseil de l’Autorité de régulation ne dépend pas forcément d’un membre du gouvernement. C’est l’article 58 qui le stipule. Et ceci est rappelé dans le cadre de l’harmonisation des textes réglementaires de la Cémac.
LNG : La Présidence ou le ministère en charge des Télécoms ne vous donnent-ils pas de directives ?
LM : Je dirais plutôt que nous avons le pouvoir délégué en la matière. La Présidence et le ministère de l’Economie numérique regardent quand même ce que nous faisons. Dès lors que nous sommes dans la ligne droite des directives du gouvernement, je peux vous rassurer que chacun est dans son couloir et de manière étanche.
LNG : Le paiement mobile est un sujet qui intéresse également les régulateurs. Pour commencer, comment faire en sorte que les abonnés mobiles de l’Afrique francophone adoptent ce type de paiement ?
LM : C’est également un problème de mentalité et d’habitude. En Afrique francophone, nous ne sommes pas encore habitués au paiement électronique. Mais, je peux vous dire qu’il y a un développement accru dans la matière. Airtel Gabon et Gabon Telecom qui ont récemment obtenu leur licence 4G ont également mis en place le paiement mobile. Donc, cela commence à prendre effet à mon avis. (…) C’est une priorité pour les opérateurs mobiles, car comme vous le savez, le service voix commence à perdre en matière de volume. Les opérateurs aujourd’hui développent beaucoup de services et l’un des services phares aujourd’hui est le paiement mobile.
LNG : La faible adoption du paiement mobile résulte aussi peut-être du fait que les abonnés craignent que leur argent et leurs données personnelles ne se retrouvent dans les mains des tiers. Que fait le régulateur que vous êtes pour rassurer les abonnés gabonais ?
LM : Récemment encore dans notre campagne de communication lors de l’opération d’identification des abonnés mobiles, nous avons rappelé la loi matière de confidentialité des données. En République gabonaise, tout cela est décrit avec clarté. Lorsque nous avons rappelé cette loi, les consommateurs ont été rassurés.
Propos recueillis par Beaugas-Orain Djoyum, à Libreville.